Démarchage à crédit (photovoltaïque) : les banques condamnées
Une arnaque, un cauchemar, des complices
Elles s’appelaient GROUPE ÉNERGÉTIQUE DE FRANCE, NEXT GÉNÉRATION, KOTHERM ou GROUPE SOLAIRE DE FRANCE. Ces entreprises de vente de panneaux photovoltaïques ont écumé nos régions pendant quelques années, avant de mettre la clé sous la porte pour la plupart d’entre elles. Elles ont laissé dans une situation difficile des particuliers séduits par des prévisions de rendement irréalistes. Entre le crédit d’impôt et le rachat des kWh par EDF, la pose de panneaux devait s’autofinancer en quelques années et dégager ensuite un revenu régulier. Les méfaits de ces commandos de démarcheurs sont connus depuis longtemps : l’UFC-Que Choisir a recensé plusieurs milliers de dossiers, et nos associations locales plusieurs centaines en Pays de la Loire. Mais ces affaires mettent aussi en relief la responsabilité d’un autre type d’acteur : les établissements de crédit. Les dossiers litigieux ont été montés dans leur immense majorité avec des emprunts de 25.000 € environ. Ils ont été débloqués par des sociétés de crédit d’envergure nationale comme DOMOFINANCE (filiale d’EDF et BNP PARIBAS), SOLFEA (filiale de GDF-Suez ENGIE), SOFEMO (filiale du CRÉDIT MUTUEL) ou SYGMA BANQUE (groupe COFINOGA). Les offres de prêts étaient soumises aux clients par les démarcheurs en photovoltaïque. Les sociétés de crédit les rémunéraient comme apporteurs d’affaire. Ces démarcheurs sont très convaincants : ils débitent un baratin imparable, et utilisent des techniques efficaces. Mais leurs méthodes sont aussi renforcées par le recours à des images fortes : partenaire EDF BLEU CIEL, certifié QUALIBAT, délégué par le gouvernement pour l’accroissement du parc d’énergies renouvelables… Il reste bien difficile à comprendre comment des établissements de crédit sérieux, réputés exigeants, ont pu accepter de collaborer aussi aveuglément avec des entreprises éphémères, aussi peu recommandables. Des contrats calamiteux L’examen des dossiers montre que les règles encadrant le crédit et le démarchage à domicile n’ont pas toujours été respectées, loin de là. Par exemple, il est fréquent que les contrats ne précisent pas la date de livraison des panneaux photovoltaïques, et surtout que le droit à rétractation du client a été entravé par un formulaire dissuasif. Mais le pire est l’inefficacité du système, tout simplement parce que le travail n’a jamais été achevé. Trop souvent, l’entreprise fait signer une attestation de livraison le jour de l’installation (ce qui lui permet de récupérer aussitôt le prix du contrat auprès de la banque), et ne fait plus rien pour le raccordement ! La jurisprudence est plutôt en faveur des consommateurs Le service juridique de la fédération UFC-Que Choisir a recensé en mars 2014 une vingtaine de décisions récentes de Cours d’appel (2013-2014), en matière de photovoltaïque par démarchage à crédit. Il en résultait alors que deux décisions sur trois condamnaient l’établissement de crédit pour faute, avec pour conséquence (surtout en cas de disparition de l’entreprise) la privation de recours contre le client emprunteur (c’est à la banque d’assumer les conséquences de la faillite !). La faute de l’établissement prêteur consiste par exemple à verser le montant du capital avant l’expiration du délai de rétractation, financer par le crédit affecté des entreprises aux pratiques commerciales manifestement illégales (trompeuses, agressives), verser le montant du capital au vendeur sans avoir vérifié que la prestation était exécutée (pas d’attestation). Mieux encore, et plus récemment : la Cour de cassation s’est prononcée sur les conséquences de la signature par le client d’une attestation de fourniture et pose d’une installation photovoltaïque. Elle a jugé que la Cour d’appel a pu valablement considérer que ce document ne suffisait pas à autoriser la banque au versement des fonds, et ne libérait pas la banque de son devoir de vérification de l’exécution complète de la commande. « L’attestation de livraison n’était pas suffisamment précise pour rendre compte de la complexité de l’opération financée et ainsi permettre au prêteur de s’assurer de l’exécution complète du contrat principal. La Cour d’appel a pu en déduire qu’en libérant la totalité des fonds au seul vu de cette attestation, la banque avait commis une faute, excluant le remboursement du capital emprunté » (Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 10 décembre 2014, N° 13-22679 ). Le même jour, la Cour de cassation s’est prononcée sur l’obligation pour la banque de vérifier la validité du contrat de démarchage, dont les mentions légales sont impératives. Elle a jugé que la Cour d’appel a pu retenir une faute de la banque, qui n’avait pas vérifié que toutes les mentions manuscrites nécessaires figuraient au contrat. « Le bon de commande de la pompe à chaleur était irrégulier, il ne comportait pas l’indication du lieu de conclusion du contrat, en violation de l’article L. 121-23 du Code de la consommation, qui en impose la mention à peine de nullité. La cour d’appel, par ces seuls motifs, a pu retenir qu’en versant les fonds à la société, sans procéder préalablement aux vérifications nécessaires auprès du vendeur et des emprunteurs, ce qui lui aurait ainsi permis de constater que le contrat était affecté d’une cause de nullité, la banque avait commis une faute, la privant de son droit à la restitution du capital » (Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 10 décembre 2014, N° 13-26585). La fédération UFC-Que Choisir a essayé de raisonner les banques Deux des quatre principaux établissements de crédit contactés en avril 2014 ont accepté de rencontrer le service juridique national (SYGMA et SOLFEA). Les deux autres (SOFEMO et DOMOFINANCE) n’ont pas donné suite à la proposition de rencontre. Il ressortait de ces réunions que ces deux sociétés de crédit étaient prêtes à procéder à l’examen des dossiers, mais de manière individuelle, sans engagement concret. Ce que nous voulons Notre association de NANTES, après consultation de la fédération, et dans le cadre d’un programme d’action régional en PAYS DE LA LOIRE, s’est résolument engagée dans un traitement judiciaire offensif des dossiers recensés. Notre objectif est de faire condamner les établissements de crédit qui financent des entreprises de démarchage, sans aucun examen sérieux de leurs méthodes de vente, ni vérification du caractère complet et conforme de la prestation promise. Pour cela, nous avons exploité systématiquement les dossiers de démarchage financés à crédit, dans lesquels on pouvait observer des défauts susceptibles d’aboutir à la condamnation du prêteur pour faute. Les tribunaux nous ont donné raison Le Tribunal d’instance de SAINT-NAZAIRE a jugé une affaire d’installation de panneaux photovoltaïques vendus en démarchage par la société GEDF et financé à crédit par la société SOLFEA (filiale de GDF-SUEZ) : « Le raccordement au réseau public d’électricité était bien prévu au contrat principal. Or, il est établi que le CONSUEL n’a pas été obtenu, faute pour la société GEDF de fournir les renseignements demandés, et le raccordement n’a pu être réalisé. Ainsi, si le matériel a bien été livré, la société GEDF n’a pas exécuté intégralement ses obligations, qui n’étaient pas accessoires, puisqu’elles conditionnent l’achèvement de la prestation, dont l’objet est la production d’électricité. Il convient en conséquence de prononcer la résolution du contrat principal GEDF, ce qui entraîne l’annulation du contrat de crédit SOLFEA, par application de la loi (article L 311-32 du Code de la consommation). En outre, selon l’article L 311-20 du Code de la consommation, l’organisme de crédit commet une faute à l’égard de l’emprunteur, s’il débloque les fonds sans s’assurer de l’exécution complète du contrat principal. Au cas particulier, l’opération consistait dans la fourniture, la pose et la mise en service d’une installation destinée à produire de l’électricité. La banque SOLFEA devait donc s’assurer de l’exécution complète du contrat principal, avant de débloquer les sommes attendues par le vendeur GEDF. Or, l’attestation signée par le client mentionne expressément que les travaux terminés ne couvrent pas le raccordement éventuel au réseau : par là même, la banque SOLFEA savait parfaitement qu’à cette date, le contrat principal n’était pas complètement exécuté. Ainsi, la somme de 20.000 € a été imprudemment versée par la banque SOLFEA à la société GEDF : en conséquence, les emprunteurs ne seront redevables d’aucune somme envers l’établissement de crédit, qui sera débouté de sa demande en remboursement du capital » (Tribunal d’instance de SAINT-NAZAIRE, 18 mars 2015, N° RG 11-14-000878 ). Le tribunal d’instance de NANTES a jugé plusieurs affaires opposant des consommateurs ainsi manipulés, aux établissements de crédit déjà cités, après la faillite des entreprises de démarchage. Toutes ces décisions sont dans le même sens, traitées par le même magistrat. Les demandeurs sont des particuliers adhérents de l’UFC-Que Choisir de NANTES, pour lesquels l’association a préparé le dossier de procédure. Ils soutiennent eux-mêmes leurs intérêts à l’audience (sans avocat, qui n’est pas obligatoire devant cette juridiction). Voici deux exemples « L’original du bon de commande produit à l’audience montre que le formulaire de rétractation ne répond pas aux conditions prévues par l’article R 121-4 du Code de la consommation : la face qui devrait comporter l’adresse exacte et complète à laquelle le formulaire doit être envoyé comporte, non pas ces mentions obligatoires, mais la signature du vendeur et celle du client, ainsi que la date de signature de ce dernier. Le fait de concevoir un formulaire présenté de telle sorte qu’en le détachant, les clients se trouvent privés d’une partie essentielle du contrat n’est pas conforme aux prescriptions légales, dans la mesure où le formulaire ne peut être détaché sans nuire à sa validité. Ce contrat doit être annulé en ce qu’il déroge aux prescriptions d’ordre public du Code précité, selon la jurisprudence de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation (21 novembre 2006). Le contrat de crédit affecté doit en conséquence être annulé, conformément aux dispositions du même Code ». Pour régler les conséquences de ces annulations, le tribunal ajoute : « SYGMA BANQUE prétend avoir valablement remis le prix du contrat à NEXT GENERATION, au vu d’une attestation de fin de travaux signée du client. Mais le déblocage des fonds sur remise de ce document, avant raccordement, caractérise un manque de vigilance de la société SYGMA BANQUE. En effet, le prêteur professionnel ne peut se désintéresser de l’utilité du financement qu’il consent à titre onéreux. Il a donc commis une faute en délivrant les sommes sans justification de l’efficacité du contrat » (Tribunal d’instance de NANTES, 23 juin 2015, N° RG 11-14-003131 ). Le tribunal a ordonné en outre la radiation de l’inscription au fichier des impayés (FICP), devenue sans objet par annulation du crédit, et condamné SYGMA BANQUE au paiement de 1.000 € au titre de l’article 700 (frais divers de procédure). DOMOFINANCE a été condamné dans les mêmes termes, pour un contrat CLIMACIEL (Tribunal d’instance de NANTES, 23 juin 2015, N° RG 11-14-002078). D’autres décisions caractérisent dans des termes voisins la faute de la banque : « Selon la jurisprudence en la matière, il incombe en effet à l’établissement de crédit, avant de verser les fonds à l’entreprise, de s’assurer non seulement que la livraison et la pose sont réalisées, mais que l’ensemble de la prestation de service, qui couvre donc le raccordement au réseau ERDF, est terminé et livré (1ère Chambre civile de la Cour de cassation, 16 janvier 2013). La banque SOLFEA ne peut s’appuyer sur son imprimé d’attestation de fin de travaux, excluant le raccordement au réseau, alors que cet élément est clairement inclus dans le contrat FRANCE SOLAIRE ÉNERGIE, et fait donc partie de l’exécution complète de la prestation. La délivrance anticipée des fonds, sans s’assurer de la réalisation effective de la prestation financée, suffit à caractériser la faute de la banque SOLFEA, qui la prive de son droit à remboursement des sommes prêtées, mais imprudemment remises au prestataire » (Tribunal d’instance de NANTES, 16 mars 2015, N° RG 11-14-002832 ). La démarche est prometteuse Notre association est satisfaite de cette orientation jurisprudentielle : cela montre qu’en cas d’anomalie, on peut agir et se défendre, en qualité de consommateur, même sans avocat, dès lors qu’on est résolu à se faire respecter par les professionnels. Seule la multiplication de jurisprudences condamnant l’irresponsabilité des sociétés de crédit dans ces affaires, permettra de contraindre les banques à modifier leurs exigences de partenariat pour financer du démarchage. En effet, les banquiers ne raisonnent qu’en rapport de forces : les frais de contentieux, la perte des capitaux versés, l’atteinte à l’image vertueuse que ces établissements cherchent à entretenir, sont autant de moyens efficaces pour modifier leurs conduites commerciales. C’est le moyen le plus sûr pour éliminer à la source les procédés de commercialisation agressive, par des sociétés improbables, qui prolifèrent encore et toujours : hier le photovoltaïque, aujourd’hui comme naguère les ravalements de façades ou de toiture et les traitements de charpentes, bientôt la rénovation énergétique des logements anciens. Faire pression sur les établissements de crédit, pour les dissuader de s’associer avec des entreprises éphémères de démarchage, qui financent leurs arnaques : voilà notre stratégie, et les tribunaux sont en train de l’accompagner utilement ! |
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Octobre 2015 | par Hervé LE BORGNE |