Santé
Mon Espace Santé : une forte attente, mais des écueils à éviter
Un nouvel espace numérique est disponible pour suivre sa santé (monespacesante.fr). Cette formule appelle de la part de notre association des précisions aux usagers : son contenu, son intérêt pour les patients et le système de santé, ses risques éventuels. Il convient également de distinguer ce service de l’antique DMP (Dossier Médical Partagé) existant depuis 10 ans.
Un contenu ambitieux
Les habitants de Loire-Atlantique (comme ceux de la Haute-Garonne et de la Somme) ont reçu en septembre 2021, par courrier ou par mail, une invitation de l’assurance maladie pour ouvrir un compte en ligne appelé « Mon Espace Santé ». Il a été généralisé à tous les départements et l’ensemble des régimes en ce début d’année 2022.
C’est un service numérique, sécurisé, proposé à chaque assuré. Il permet de conserver et partager avec des professionnels de santé, sous son contrôle et en toute confidentialité, documents et données de santé. Il s’exerce sous la responsabilité de l’État et de l’Assurance maladie.
L’objectif annoncé (« Vous avez la main sur votre santé ») exprime clairement le souhait de responsabiliser l’individu dans la gestion de ses données de santé.
Quatre fonctionnalités principales sont proposées :
- Une messagerie sécurisée avec les professionnels de santé. Actuellement, elle ne fonctionne que dans un sens : seul un professionnel de santé peut ouvrir une discussion. L’usager peut y répondre et partager des documents, mais ne peut pas déclencher la discussion.
- Une nouvelle version du Dossier médical partagé, sorte de « coffre-fort » numérique permettant de stocker et gérer tous les documents que l’intéressé jugera utiles. La liste est longue et évolutive. Il s’agit d’abord de données issues des professionnels de santé, comme l’historique des soins, les ordonnances, vaccinations, compte-rendu d’examens, d’opérations, d’analyses, radios. Le patient peut lui-même compléter avec des informations personnelles, comme l’indication d’antécédents, des mesures (taille, poids, tension artérielle), des allergies, des recommandations en cas d’urgence, ou ses volontés (directives anticipées, personne de confiance, don d’organes).
- Un agenda, utile en parcours de soins, pour les suivis médicaux ou rappels vaccinaux.
- Un catalogue de services numériques proposés par des tiers, mais répondant à un cahier des charges et référencés par l’État.
L’usager peut gérer lui-même les autorisations d’accès aux documents. Il peut aussi suivre l’historique de l’activité sur son espace, savoir qui a consulté quoi et quand. À tout moment, il peut décider de clore son Espace Santé.
L’ancêtre DMP
Une première tentative, débutée en 2011 avec le DMP (Dossier médical personnel, puis Dossier Médical Partagé) avait été qualifiée par plusieurs observateurs « d’échec ». Elle a eu pourtant le mérite de mettre en relief tous les obstacles à lever pour répondre à l’objectif. À marche forcée, plus de 10 millions de DMP ont été ouverts. Mais la plupart sont restés désespérément vides. Le reproche justifié avait été fait aux professionnels de santé, qui n’avaient pas joué le jeu, en n’alimentant pas les dossiers.
En fait, l’absence d’interopérabilité entre les logiciels utilisés par les praticiens et le DMP entraînait des manipulations longues pour passer de l’un à l’autre. Les fonctionnalités étaient limitées, ce qui pouvait créer une certaine frustration chez les usagers les plus volontaires.
Compliqué, générateur de pertes de temps, limité dans ses applications et ses utilisateurs, il n’avait pas convaincu. Il devenait nécessaire de reprendre le sujet à la base. En 2019, une feuille de route pour la période 2019-2022 cadrait les étapes, en définissant en particulier la gouvernance, les organisations, une politique globale, un programme opérationnel, des objectifs précis, des outils pour la mise en place et la sécurité du système. L’Identifiant National de Santé (INS) a été ainsi, et d’abord, mis en place. La concertation a été très large, auprès des éditeurs de logiciels et bien sûr des usagers.
Le nouveau DMP inclus dans Mon Espace Santé possède enfin cette interopérabilité, qui permet à différents logiciels de se comprendre et d’automatiser des tâches.
De réels avantages
Dans la pratique, les usagers sont déjà largement convaincus de l’intérêt du numérique pour leur santé, comme depuis longtemps pour d’autres services. Le secteur a même un tel retard qu’il peut paraître archaïque en comparaison d’autres domaines de la vie courante.
Une enquête de l’organisme France Assos Santé (FAS) constatait en juillet 2021 que près de 90 % des Français utilisent déjà au moins un service numérique pour leur santé, par exemple pour suivre leur compte Ameli.fr, prendre un rendez-vous en ligne ou recevoir les résultats d’analyses d’un laboratoire.
En ce qui concerne les attentes, des ateliers citoyens préparatoires à cette évolution numérique ont dressé la liste de nombreux dysfonctionnements dans le système actuel (données dispersées, non partagées, ordonnances illisibles, parcours de soins non coordonnés, redondance des informations demandées, documents perdus). Le souhait des usagers pour une amélioration de la communication avec leurs professionnels de santé est affirmé.
Les avantages et inquiétudes occasionnés par ce virage numérique ont été formulés (consultables sur le site esante.gouv.fr). De son côté, l’UFC-Que Choisir s’est associée à l’avis de France Assos Santé, pour se déclarer en principe favorable à ce projet. Mais nous avons souligné aussi nos préoccupations, en particulier sur la sécurité des données et l’accessibilité pour tous aux services proposés.
Des risques, des interrogations
Nous l’avons vu pour le DMP, de fortes réticences existent de la part des professionnels de santé. L’outil numérique peut paraître très éloigné de leurs préoccupations, et la crainte d’un surcroît de travail revient dans les objections formulées. L’envie est faible, alors que leur adhésion au système est capitale. Pour remporter celle-ci, la fluidité et la simplicité des opérations sont essentielles. Mais l’outil ne doit pas non plus réduire la relation patient-praticien, ou la transposer exclusivement derrière un écran.
Pour le patient, l’une des illusions serait de croire que les professionnels de santé disposant de ses données vont les gérer à sa place. Le professionnel soigne, l’usager gère sa santé. L’outil numérique doit simplifier la communication entre les deux. Mais ce n’est pas un coach virtuel.
Il existe un danger avec la multiplication d’objets connectés (comme les cardiofréquencemètres), dont l’outil ne fera pas la supervision, l’analyse et les commentaires. Ce côté fourre-tout de compilation de données en tout genre devra tôt ou tard être régulé, si on ne veut pas noyer des informations importantes.
Rester vigilant
La sécurité des données est souvent questionnée, à juste titre. Mon Espace Santé est annoncé comme aussi sécurisé et protégé que possible, à l’instar de services bancaires par exemple. Les données sont hébergées en France. Pour relativiser cet aspect sans l’écarter, on peut se demander quel niveau de sécurité présente aujourd’hui les échanges de dossiers papier entre établissements, la prise de rendez-vous sur des sites payants, l’envoi de mails sur messagerie classique non sécurisée, voire d’échanges sur WhatsApp, entre patients et professionnels de santé.
La concentration dans un même dossier de tous les évènements de santé d’une même personne fait de la confidentialité une exigence particulièrement importante. Le respect de cette règle appelle notre vigilance, lors du déploiement de Mon Espace Santé. Les remontées d’usagers seront importantes pour déceler des écarts ou des abus.
Quelle qu’en soit la raison, des usagers refuseront ou ne pourront entrer dans l’espace numérique proposé. Il faudra donc s’assurer qu’ils conserveront les mêmes possibilités d’accès que les autres à leurs informations personnelles, qu’ils auront la même attention et les mêmes soins, même si certaines informations arrivent par la poste.
Le choix d’une messagerie qui ne fonctionne qu’à la demande du professionnel de santé était peut-être nécessaire pour emporter leur adhésion au projet. Mais elle caractérise une posture qu’il faut faire évoluer. Il y a probablement des solutions à trouver rapidement pour permettre un dialogue sans saturer les messageries ni créer une surcharge d’activité jugée improductive.
L’avenir sous contrôle
L’UFC-Que Choisir de Nantes, membre de France Assos Santé, participe au groupe de travail mis en place par l’assurance maladie, avec des représentants des professionnels de santé, pour suivre le démarrage de Mon Espace Santé. Les premiers retours des utilisateurs reflètent les satisfactions, les inquiétudes, voire les réticences ci-dessus exprimées. Nous pouvons agir à plusieurs niveaux pour faire évoluer dans le sens des usagers les évolutions futures du système.
Fiable, simple, sécurisé, Mon Espace Santé est une première pierre vers la gestion numérique de sa santé. Ce sera une belle aventure, si elle accompagne bien tous les usagers, simplifie et améliore la communication entre soignant et soigné. Nous pouvons et devons exercer ensemble un regard vigilant sur sa mise en place et son fonctionnement.
Février 2022 | Laurent VENAILLE |