UFC-Que Choisir de Nantes

Santé

Santé : Pour une consommation responsable… des médicaments

Si nous ne partageons pas toujours les mêmes points de vue, il est important d’échanger avec les acteurs et les professionnels de santé, pour mieux comprendre le fonctionnement des organisations, leurs contraintes et leurs positionnements. Pour cela, le 25 janvier dernier, nous avons abordé, dans le cadre de notre « Semaine du mouvement », des thèmes quotidiens sur l’usage des médicaments. L’échange était conduit par Gérard ALLARD, référent en santé de l’UFC-Que Choisir en Pays de la Loire. Notre invité était Alain GUILLEMINOT, président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS), et pharmacien d’officine à la Marne (44).
Les volumes consommés
Gérard ALLARD : Les français seraient les plus gros consommateurs de médicaments en Europe, qu’en pensez-vous et intervenez-vous comme régulateur en tant que pharmacien ?
Alain GUILLEMINOT : C’était le cas jusqu’en 2010, nous étions largement au-dessus des moyennes européennes en effet. Puis, entre 2004 et 2019, ces volumes ont baissé de 16 %. Nous restons de gros consommateurs, mais ce n’est plus vrai dans toutes les catégories de traitement. En 2023, la dépense moyenne par habitant est de 447 €, ce qui nous place au 7e rang mondial derrière le Brésil, l’Allemagne ou l’Italie. Nous sommes par contre de grands consommateurs de paracétamol, ce qui peut être associé à la forte présence sur le marché français de SANOFI, producteur du DOLIPRANE. Pour les antibiotiques, nous nous situons à la 4e place mondiale, malgré l’efficacité de la campagne « les antibiotiques c’est pas automatique ». Cette consommation est en recul tous les ans, et elle a largement diminué pendant le COVID.
La surconsommation est aussi liée aux ordonnances. Les pharmaciens peuvent éviter l’excès de prescription, observée couramment en sortie d’hôpital, lorsqu’elle est redondante avec celle du généraliste. Pour cela, nous devons connaître les différents traitements, avec l’historique du patient s’il fréquente régulièrement la même officine, mais aussi grâce au dossier médical partagé.
Les risques d’une consommation non raisonnée
G.A. : Faut-il diminuer l’utilisation des antibiotiques ?
A.G. : Absolument, contre l’antibiorésistance, mais aussi pour limiter les traces qui se retrouvent dans la nature. Si nous fabriquons des antibiotiques qui ne sont plus efficaces, nous allons faire face à de graves problèmes de santé publique. Depuis peu, la loi permet aux pharmaciens de délivrer des antibiotiques pour guérir les angines ou infections urinaires d’origines bactériennes, suite à la réalisation d’un « test rapide d’orientation diagnostique » (TROD).
G.A. : Les médicaments en vente libre contre le rhume présentent des dangers pour la santé.
A.G. : Oui, il y a des effets indésirables, notamment chez les personnes qui ont de l’hypertension, avec des risques d’AVC. Le rôle du pharmacien est donc essentiel, car avant de conseiller tel remède, même s’il est autorisé par l’Agence nationale du médicament (ANSM), il doit questionner le patient.
G. A. : L’UFC-Que Choisir réclame l’interdiction de la publicité sur les médicaments en vente libre auprès du grand public, car cela incite à une automédication mal dirigée.

A.G. : Notre système français est très bordé, contrôlé pour assurer au mieux la sécurité du public par rapport aux produits délivrés sans ordonnance. Nous ne pouvons pas dire qu’ils sont en vente libre, car il y a

toujours la supervision en pharmacie qui intervient, à la différence d’autres pays européens.
G.A. : Quel rôle de conseil doit avoir le pharmacien ? L’information prévue est-elle toujours délivrée, avec quels conseils de remplacement ou de prescription ?
A.G. : Une officine fonctionne avec des pharmaciens et pharmaciennes travaillant conjointement avec les préparatrices et préparateurs, qui sont responsables de la délivrance de médicaments. S’il y a une erreur dans les dosages ou sur les quantités, le pharmacien et le médecin sont co-responsables. En moyenne en France, 80 % de l’activité d’une officine résulte de la prescription médicamenteuse. 5 à 10 % de l’activité est liée aux médicaments préconisés, c’est-à-dire les remèdes indiqués en pharmacie dans la mesure du possible, quand le patient n’a pas pu voir un médecin.
Notre rôle évolue vers une plus grande analyse des ordonnances, de bilan de médication, pour alerter le médecin sur ce qui peut être modifié dans les traitements de certains patients.
Faire face aux pénuries
G. A. : Selon l’UFC-Que Choisir, 1 600 ruptures de médicaments ont été recensées en 2022, au lieu de 500 en 2017, comment ressentez-vous ces ruptures dans vos pharmacies et qu’est-ce qu’il faudrait faire ?
A.G. : En moyenne, nous passons 2 heures par jour pour trouver des solutions aux ruptures. Parfois, ces manques durent des semaines tandis que d’autres sont en rotation. Cette rupture est multifactorielle et selon moi, la 1re raison est la mondialisation du marché du médicament. Un producteur qui est en Asie fournit les molécules à l’industrie pharmaceutique qui elle-même conditionne puis distribue selon la demande des pays. Cette demande est maintenant mondiale alors qu’avant, elle était centralisée sur les pays dits développés. La 2e raison, c’est le prix des médicaments, qui est très bas en France. L’industrie pharmaceutique va donc privilégier les zones avec des prix plus intéressants. Les normes d’élaboration des médicaments sont aussi de plus en plus fortes. Quand un lot doit être détruit, le processus de fabrication d’un autre peut prendre plusieurs semaines.
G.A. : Est-il possible de délivrer des médicaments en petites quantités pour éviter le gaspillage, ou de déconditionner en cas de rupture ?
A.G. : Depuis peu, la loi nous impose la délivrance à l’unité s’il y a une rupture très importante. Cette délivrance, nous la faisons déjà depuis des dizaines d’années pour les stupéfiants. Personnellement, je le fais déjà pour les antibiotiques, car nous n’en avons pas assez et nous savons que le patient ne va pas tous les utiliser. Sur les boîtes de traitements chroniques, ce n’est pas nécessaire : les conditionnements correspondent exactement à la prescription.
Le sort des médicaments inutilisés
G.A. : Peut-on prendre un médicament périmé ?
A.G. : Le pharmacien ne va jamais vous dire de prendre un médicament périmé. Un paracétamol dont la date est expirée depuis quelques semaines, vous pouvez l’absorber, car c’est très stable. Mais beaucoup de molécules ne sont pas stables. Si certains médicaments perdent seulement en efficacité en se dégradant, d’autres quant à eux peuvent devenir toxiques.
G.A. Que faire des médicaments non utilisés (MNU) ? Que deviennent-ils ? Pourquoi n’y a-t-il plus d’utilisation à titre humanitaire pour les remèdes non périmés ?
A.G. : C’est maintenant une habitude de rapporter ses médicaments en pharmacie, sans les boîtes. Collectés dans des bacs de l’association CYCLAMED, ils sont ensuite incinérés principalement pour alimenter des chauffages collectifs. Ils étaient avant envoyés à certains pays dans le besoin, mais il y a eu des détournements et cela bloquait le développement de l’économie locale. Depuis peu, une traçabilité renforcée des médicaments sur le plan européen nous oblige à sérialiser toutes les boîtes qui sortent des officines. Elles ne peuvent donc plus réintégrer le circuit, même si elles ne sont pas ouvertes. Cela a été mis en place pour lutter contre les contrefaçons. Mais aussi, nous ne connaissons pas les modalités de conservation chez les patients, alors nous ne pouvons pas être sûrs de l’état du produit.

April 2024 par l’UFC-Que Choisir de Nantes