UFC-Que Choisir de Nantes

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Santé : Sortir des urgences du CHU très mal en point

Nous publions le témoignage de Patrick, qui vit à Saffré, et nous relate son expérience désolante aux urgences du CHU de Nantes. Ce récit est complété par l’appréciation de notre référent dans le domaine de la santé.
L’interminable attente :
Je suis très malade : après l’ablation d’un rein, je suis équipé d’une poche urinaire et subis de multiples contaminations (porteur de bactéries multirésistantes). Ainsi, je connais bien le milieu hospitalier, puisque je fais de nombreux séjours au CHU et aux services d’urgences de Nantes (9 hospitalisations en 2023). Pourtant, je n’imaginais pas la mauvaise expérience qui m’attendait en cette fin d’année 2023.
Le mercredi 27 décembre, je souffre de maux de tête et je n’arrive plus à ouvrir l’œil gauche. À partir de ce moment, c’est le début d’un parcours épuisant.
  • 10 h : dans le cabinet de mon médecin généraliste, qui m’envoie vers le service d’urgence ophtalmologie du CHU.
  • 14 h : au CHU, dans ce service, le spécialiste suspecte un petit AVC, et me renvoie vers le service général d’urgences du CHU afin de passer un scanner cérébral.
  • 17 h : j’entre au service d’urgences du CHU, le hall est bondé. On m’installe sur un brancard, à côté des autres patients. Je remets les documents établis lors de mon passage au service ophtalmo, ainsi que mon dossier médical lié à mon état de santé décrit au début de ce récit.
  • 18 h : un infirmier vient me prévenir que le scanner est programmé, mais que l’heure n’est pas fixée.
  • 21 h : on vient me chercher pour le scanner ; retour dans le hall vers 22 heures, jusque là tout va bien (malgré l’attente), mais cela va commencer à déraper.
Le lendemain jeudi, un médecin vient me présenter les résultats du scanner.
  • 3 h 40 du matin : il m’annonce la prolongation de mon séjour dans l’établissement, pour faire des examens complémentaires (biopsie d’artère temporale). On va m’orienter vers le service de médecine interne. Mais, comme je suis porteur de bactéries multirésistantes, il me faut une chambre seule (pourtant, je suis dans le hall d’attente depuis des heures, allongé aux côtés des autres patients). Le service de médecine interne n’a pas de chambres disponibles : je dois attendre là.
  • 9 h : je suis parti de mon domicile depuis 24 heures, je me sens abandonné, on ne m’a pas donné mes médicaments (que je dois pourtant prendre chaque soir), on ne m’a pas proposé à manger et à boire, je n’ai pas dormi (je suis inconfortablement installé, car il n’y a aucun box disponible et je suis placé en pleine lumière, dans un trafic incessant de soignants et patients). Ma poche urinaire est pleine, je demande un changement, mais le personnel est débordé et mes réclamations ne suscitent que promesses sans suite.
  • 11 h 30 : je fais un malaise qui est diagnostiqué « malaise hypotensif ». On me trouve enfin un box libre et on s’occupe de moi. On me donne enfin les médicaments liés à mon traitement journalier. J’ai lu plus tard que l’hypotension artérielle peut être causée par une déshydratation.
  • 18 h : ils ont besoin du box et me remettent dans le couloir. J’attends toujours qu’une chambre se libère au service de médecine interne.
  • Le vendredi 29, vers 4 h du matin, un cadre du service m’informe que, faute de chambre disponible, je vais probablement être renvoyé à mon domicile.
  • 5 h 30 : on me confirme ma sortie, un ambulancier viendra me prendre en charge dans une demi-heure. Cela fait 40 heures que je suis entré dans ce service d’urgence.
  • 7 h : je suis enfin de retour chez moi.
Les examens complémentaires demandés à l’issue du scanner ne seront effectués que plusieurs semaines plus tard. J’ai donc enduré cette attente aux urgences pour rien.
Le bilan de cette histoire :
Je suis resté 46 heures sans manger et pratiquement sans boire, dont 40 heures d’attente dans ce service d’urgences. Privé de sommeil du fait de l’inconfort d’un brancard placé dans un couloir en pleine lumière avec des passages incessants, on imagine l’état d’épuisement que m’a causé cette épreuve, alors que ma santé est précaire.
Trois jours après ce calvaire, j’ai déclenché une pyélonéphrite, qui a nécessité une hospitalisation d’urgence. Je n’en suis ressorti que deux mois plus tard. Je me demande dans quelle mesure le déficit d’hydratation et mon état de fatigue lors de mon séjour au CHU ont pu déclencher cet épisode supplémentaire dont je me serais bien passé.
Mon sentiment sur cette expérience :
Il est évident que les services d’urgences sont débordés, du fait de la diminution des soins de proximité. Les patients n’ont plus de solution pour se faire soigner. L’encombrement insurmontable et le débordement de ce service à cette époque s’expliquaient aussi par les fêtes et congés de Noël.
Les services d’urgence sont tenus de traiter pêle-mêle des cas graves et des cas anodins.
Les délais d’attente en services d’urgence s’allongent de plus en plus. L’organisation propre aux urgences ne permet pas au personnel de s’occuper des patients pendant la durée de leur séjour, qui devrait être brève par nature. La seule préoccupation du personnel est le traitement du motif d’entrée dans le service. Dans mon cas, le suivi médical lié à ma maladie de longue durée n’a pas été pris en charge. De plus, du fait de la suractivité du service, le personnel n’arrive pas à satisfaire les demandes primaires des patients (nourriture, hydratation, accès aux toilettes).
Le mot de la fin :
Je garde un mauvais souvenir de cette expérience. Cependant, je pense qu’il ne faut pas accabler le personnel du CHU, qui fait ce qu’il peut avec les moyens dont il dispose. Ces professionnels ne sont pas à l’aise devant ces carences de fonctionnement. Pour preuve, le responsable du service a rédigé ainsi mon bulletin de sortie : « Dans le couloir des urgences depuis 35 heures, n’a pas dormi depuis deux nuits ; honte absolue ; retour à domicile ; message envoyé en médecine interne pour programmer une biopsie d’artère temporale ».
Commentaires du représentant de l’UFC-Que Choisir des usagers au CHU de Nantes
Ce témoignage reflète très bien le vécu de différents patients lors de leur passage aux urgences du CHU. Malheureusement, cette situation est vécue dans beaucoup trop de services d’urgence en France.
Nos représentants des usagers partagent avec ce témoignage sa remarque importante au sujet du personnel de ces services, qui n’est pas en cause. Les professionnels de santé font indiscutablement le maximum pour affronter ces situations difficiles. Ils méritent le respect, malgré l’exaspération des usagers.
La situation dans les services d’urgence cristallise malheureusement toutes les difficultés de notre système de santé
La capacité en médecine de ville ne sait pas répondre aux besoins de soins bénins, mais ressentis comme urgents (et encore, à Nantes, SOS Médecins s’ajoute à l’offre de cabinet). La réponse nécessaire est donc le recours aux urgences, pour ce qui est considéré comme de la « bobologie ».
La difficulté est de trouver des lits disponibles en cas d’hospitalisation indispensable. La conséquence de cette pénurie est l’attente dans une foule indifférenciée de besoins, avant une réorientation vers un service spécialisé. Ainsi, à certaines périodes, 20 % des lits de soins de suite et de réadaptation (SSR) dans l’agglomération nantaise sont fermés par manque de personnel.
Sous l’égide de l’Agence Régionale de Santé (ARS), des solutions pour améliorer la qualité de soins en services d’urgence sont recherchées à la fois
  • Dans leur fonctionnement interne : réorientation vers des services de garde en ville, montée en compétence des professionnels paramédicaux pour exécuter certains actes, meilleure visibilité des lits disponibles dans les établissements de santé du département.
  • Dans l’offre de médecine de ville : obligation de mettre en place des créneaux dédiés pour recevoir des patients dans les 24 heures pour répondre à des soins non programmés, dans les structures médicales regroupées (maisons de santé).
Mais ces mesures ne deviennent effectives qu’après un temps infini, du fait de freins corporatifs, de lourdeurs administratives, de déficits en personnels formés. Nous dénonçons le fait que malheureusement, tant que persisteront ces anomalies, le calvaire vécu par certains usagers durera.

July 2024 par Alain JONCHERAY et Gérard ALLARD