On a gagné
On a gagné en justice : Préservation du patrimoine et de l’habitat français (PPHF) condamné très tard et bien peu
La société qui s’intitule aujourd’hui Préservation du patrimoine a connu plusieurs identités, avec les mêmes pratiques commerciales. Nous avions repéré depuis 10 ans ses agissements abusifs, en démarchage pour travaux très coûteux. Le signalement aux autorités était resté sans résultat visible. Mais un jugement prononcé par le tribunal correctionnel de Nantes fait suite à l’enquête engagée à cette époque par l’administration de la répression des fraudes. Il condamne cette société (pas ses dirigeants), pour pratiques commerciales trompeuses. La sanction est bien légère compte tenu des profits réalisés, et bien tardive après de multiples restructurations de cette entreprise. En revanche, il est intéressant de comparer les actes réprimés par la justice avec les déclarations actuelles de son principal dirigeant historique.
Les acteurs
Michaël BROCHARD est directeur général de Préservation du patrimoine. Il déclarait le 3 février 2017, dans un entretien publié sur le site spécialisé Toute la franchise : « Avec mon associé Gwenaël Vaillant, nous avons créé en 2005 la société Préservation du patrimoine et de l’Habitat français (PPHF), une entreprise experte en économies d’énergie. En 2014, nous avons créé la société PP72 afin d’être implantés au Mans. Afin de mieux nous structurer, nous avons accueilli André Picard, spécialiste de la franchise. Nous avons bâti la tête de réseau Préservation du Patrimoine à Sainte-Luce-sur-Loire, près de Nantes. André Picard est désormais le président de Préservation du patrimoine . De mon côté, je suis le directeur général en charge du pôle commercial ».
L’enquête
Les directions départementales de la Sarthe et de Loire-Atlantique pour la répression des fraudes ont enquêté sur ces entreprises à partir de 2016. Selon leurs constatations, Michaël BROCHARD et Gwénaël VAILLANT étaient dirigeants de PPHF et PP72, absorbées par PPO respectivement en 2018 et 2023. Toutes ces entreprises sont domiciliées à Sainte-Luce-sur-Loire (99 rue du Moulin des Landes). André PICARD, est président depuis 2022 du groupe ATHOME, franchiseur de 35 enseignes « Préservation du Patrimoine », dont les sociétés PPO et PP72. Il est devenu le représentant légal de toutes les sociétés du groupe. Il a déjà été condamné pénalement.
Le groupe constitué par cet ensemble de sociétés dégage un chiffre d’affaires de 42 millions d’euros, avec un bénéfice déclaré de 1,5 million d’euros en 2022.
Plusieurs clients victimes des agissements de ces sociétés sont cités dans la procédure. Beaucoup d’entre eux avaient signé de multiples commandes successives (six, dix, jusqu’à douze devis de travaux de rénovation). Les montants globaux de ces commandes sont astronomiques (45 179 €, ou encore 77 056 €, et jusqu’à 85 116 €). Certains présentaient des signes visibles de fragilité « un état de vulnérabilité apparent et décelable par les interlocuteurs », selon l’expert qui les a examinés. D’autres consommateurs étaient âgés de plus de 80 ans, ou ont été placés peu après en curatelle renforcée.
Un ancien salarié de l’entreprise a témoigné à l’audience : « Conformément aux consignes, les commerciaux mettaient en avant les économies d’énergie et les partenariats avec EDF ou ENGIE, pour ensuite proposer des travaux de rénovation. Ainsi, le but qui était de vendre des travaux n’était pas clairement énoncé ». Les enquêteurs ont relevé les méthodes commerciales employées : « Au moment du démarchage, les employés affirmaient faussement être mandatés par EDF ou ENGIE en vue de réaliser un bilan énergétique gratuit. Ceci avait pour but de tromper les clients, puisque le résultat de ces faux diagnostics, totalement artificiels, permettait en réalité de justifier des dépenses d’amélioration ». « Différents travaux étaient regroupés et présentés à des prix fantaisistes. Des prestations non prévues sur le tarif étaient régulièrement ajoutées (changement d’un solin, raccordement d’une fosse…), avec des prix aléatoires ».
Le tribunal en déduit que ces deux sociétés avaient ainsi développé une politique commerciale imposée par les dirigeants, avec des consignes claires de tromper le client sur l’intention réelle du démarchage.
Le jugement
La seule société mise en cause (PPO), comme absorbante des entreprises responsables des faits reprochés, est condamnée à une amende de 20 000 €. Elle doit en outre indemniser certaines des victimes, pour un total de 12 000 € environ.
Les déclarations des dirigeants
À l’audience, André PICARD représente légalement chacune des entreprises impliquées, mais il échappe aux poursuites, parce qu’il ne les dirige que depuis 2022.
Michaël BROCHARD et Gwénaël VAILLANT ont été également entendus, mais non poursuivis, puisqu’ils ne sont plus dirigeants des sociétés condamnées. Ils déclarent dans un bel ensemble qu’il n’y avait « aucune stratégie d’entreprise pour tromper les clients ou abuser les personnes âgées ».
Sur le site « Toute la franchise, » Michaël BROCHARD répondait en 2017 aux questions concernant les caractéristiques de son entreprise. Celle-ci est présentée comme un modèle de réussite : « Nous sommes une entité qui se développe, mais avec la volonté de rester proche du client, à l’image de ce que fait l’artisan. Nous avons des délais de pose courts et un fort accompagnement des clients, jusqu’à 10 ans après les travaux. Nous pratiquons des prix fixes et raisonnables et, surtout, nous proposons une offre multiple avec des prestations nettement plus diversifiées que la concurrence. Par ailleurs, nous avons la volonté de mettre l’humain en avant au sein de notre structure ».
Les enseignements de cette triste affaire
- La justice est trop lente
Les auteurs ont le temps de s’organiser pour échapper au pire. Les précédents dirigeants ont passé la main, les anciennes sociétés ont été absorbées ou liquidées, les responsables actuels ne sont pas les représentants légaux, ou bien ils ne sont pas punissables parce qu’ils sont aux commandes depuis peu. Pourtant, les mêmes méthodes persistent, les mêmes abus se poursuivent, mais le tribunal ne se prononce que sur des constatations enregistrées depuis plusieurs années.
- Les sanctions ne sont pas dissuasives
André PICARD peut dormir tranquillement, même si ses associés l’ont un peu poussé en avant pour écoper les conséquences de leurs propres agissements.
Michaël BROCHARD est également à l’abri : il a monté un système très profitable, dont il tire désormais des bénéfices principalement financiers, avec la vente de son modèle en franchise ; il peut continuer à diriger ses sociétés et perpétuer leurs pratiques.
De nouvelles victimes sont évidemment à craindre : personnes âgées ou vulnérables, repérées par des vendeurs sans scrupules. Ils vont même revenir les voir régulièrement pour d’autres commandes : cela fait partie de la méthode : « accompagnement des clients jusqu’à 10 ans après les travaux ». C’est un maximum : après, ils sont ruinés, ou décédés.
Jugement du tribunal correctionnel de Nantes, 21 décembre 2023 (N° 23331000028)
July 2024 | par Hervé LE BORGNE |